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Fuck America - Edgar Hilsenrath

cafelitterairedela


On vous a menti pour le rêve américain. S’il existe, tout le monde ne peut pas en profiter. Edgar Hilsenrath en a lui-même fait l’expérience. Si Fuck America se donne tous les airs d’une fiction, l’expérience de son auteur y transparaît pourtant de manière évidente. Les quelques incursions dans les ghettos de la Shoah, où sa famille a vivoté pendant près de quatre ans, et la crudité d’un langage des bas-fonds new-yorkais peuplés de clochards, de prostituées et de profiteurs à la petite semaine en font foi. Même Le Branleur, le roman qu’écrit son personnage principal – Jakob Bronsky, pour les intimes – dans ses cafétérias miteuses fait penser à Nuit, la première œuvre d’Hilsenrath. Conçue dans des conditions atrocement similaires.


Quelles conditions de vie ? Misérables, miséreuses, sans avenir. Bronsky évolue dans un écosystème indigent dégorgeant de réalisme social, où l’on survit comme on peut de jour en jour en accumulant job sur job payés au lance-pierres. Quand je vous parlais de langage cru, je ne faisais pas qu’effleurer un élément stylistique de surface. Le lexique d’Hilsenrath malmène son lecteur à tout instant et se montre volontiers ordurier, quand il ne confine pas au politiquement incorrect. N’ayez pas peur, en vous aventurant dans les pages de Fuck America, de termes jugés offensants envers les minorités et les orientations sexuelles. Homosexuels comme Juifs et Afro-américains en font indifféremment les frais, et l’intrigue d’Hilsenrath dessine un environnement interlope où se télescopent les acteurs d’une Amérique cauchemardesque, où la misère bien plus que l’utopie de la richesse fait loi parmi les immigrés.


Stylistiquement parlant, la forme du journal intime choisie par Hilsenrath en rend d’autant plus compte que le récit se vit en totale immersion. Entre narration aux première et deuxième personnes, dialogues simplistes et délires hallucinatoires, la personnalité de Bronsky se dessine souterrainement entre un Leopold Bloom miséreux et un vieux dégueulasse bukowskien. Son univers new-yorkais cloisonné met parfaitement en avant les dissensions de classe, qu’elles soient aisées, moyennes ou « populaires ». Chez Hilsenrath, tout se perd et rien ne se gagne ; accéder aux plus gros avantages sociaux ne se fait qu’indignement, au prix de l’escroquerie, donc du sacrifice à petit feu du reste de son humanité, déjà délitée par la Seconde Guerre Mondiale. Comment expliquer autrement la froideur de Bronsky, son détachement par rapport à la gravité de sa situation, la porosité stylistique séparant la réalité de ses fantasmes sexuels ? La Shoah n’ose se manifester que lors des cinquante dernières pages du roman ; le meilleur moment pour donner tout son sens aux ambitions désagrégées de ses survivants.


Lothaire Berthier




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